S.O.S. des enseignants : Bulletin spécial

Une enseignante à l'oeuvre dans sa classe.

photo: ©2014 Simon Martel

Nous savons tous quelque chose de la profession d’enseignant. Nous avons tous fréquenté l’école, conservé quelques précieux souvenirs de bons pédagogues chaleureux, gardé aussi en mémoire d’obscurs traumas liés à des instituteurs décidément trop sévères. Nous avons tous pu observer à loisir la gentille maîtresse écrivant au tableau, travaillant à son bureau ou participant à une sortie avec les élèves. Nous savons tous à quel point les enseignants représentent des figures significatives pour nos enfants. Et, avouons-le, nous avons tous, un jour ou l’autre, envié la généreuse banque de congés des enseignants, particulièrement quand l’organisation familiale estivale nous causait des maux de tête. Mais que savons-nous véritablement du métier de ceux qui ont pour mandat d’instruire, de socialiser et de qualifier nos jeunes?

Apparemment, ces deux mois de vacances que nous jalousons ne suffisent pas à faire de l’enseignement un paradis de l’emploi. Dans les faits, les enseignants en arrêt de travail pour motif de burnout sont légion. Selon la Fédération des commissions scolaires du Québec (2009), le nombre de congés de maladie était en hausse constante dans le réseau de l’éducation et 46% de ces congés étaient directement liés à l’épuisement professionnel ou à la dépression. Une étude de l’ÉNAP citée par Radio-Canada (2010) faisait aussi ressortir l’accroissement chez les profs de l’anxiété et des maux physiques (de la bronchite aux maux de dos), symptômes de leur essoufflement. D’après les statistiques du MELS (2011), 25% des jeunes enseignants du primaire au Québec quittaient la profession au cours des cinq premières années suivant leur insertion sur le marché du travail et ce, en dépit des longues études universitaires complétées pour y accéder. Ces statistiques alarmantes expriment pour le moins un malaise.

Si les tableaux blancs interactifs rendent l’enseignement plus vivant, l’investissement massif qu’ils ont nécessité n’a été d’aucun secours pour une majorité d’enseignants qui parviennent plutôt mal à survivre à leur profession, contraints par des exigences de gestion incompatibles avec leurs valeurs fondamentales. Fréquemment au cœur de controverses, leur métier est certes en mutation et les enseignants finissent par manquer de repères face à d’incessantes réformes ministérielles plus ou moins cohérentes. Au départ, ils ont choisi cette vocation avec le feu sacré, la passion pour leur discipline, l’instinct de pédagogue, l’amour des enfants. Ils se voient forcés de composer avec une tâche écrasante, des conditions défavorables et un environnement physique trop souvent inadéquat (évoquons à titre d’exemples les moisissures, le radon ou plus simplement le manque d’espace). Au fil du temps, plusieurs enseignants deviennent désemparés, affligés d’un stress chronique et d’un sentiment d’impuissance démobilisant.

Parmi les problèmes organisationnels, on pense d’emblée au manque de ressources et d’outils, à la multiplication des tâches administratives, aux coupures des services d’aide aux élèves, à l’augmentation des ratios par groupe, à la précarité d’emploi des nombreux suppléants, aux cibles à atteindre face au taux de diplomation. Par contre, à tort, on parle moins souvent de la solitude du professeur, laissé à lui-même dans sa gestion de classe, dans ses remises en question et dans les efforts de créativité, d’adaptation, de patience et de polyvalence qu’il doit déployer.

En fait, sans un soutien adéquat, les enseignements sont hautement à risques d’épuisement professionnel notamment en raison des composantes relationnelle et affective de leur pratique. À la relation privilégiée maître-élève à la base des fonctions de l’enseignant s’ajoutent en effet la dynamique de groupe, la collaboration avec l’équipe-école, les rapports avec les parents et les relations avec les directions d’école lesquelles sont souvent débordées, préoccupées des règles budgétaires et soucieuses de retenir par tous les moyens leur clientèle face à la concurrence.

Dans ses meilleurs jours, le professeur est porté par le plaisir de transmettre son savoir, de partager une passion, de faire découvrir la culture, d’innover dans ses stratégies, de dépister un blocage chez un élève et de l’aider véritablement. En réalité, au quotidien, bon nombre d’enseignants sont confrontés à une population étudiante hétérogène, dont plusieurs enfants présentent d’importantes difficultés d’adaptation, d’apprentissages et/ou de comportements , voire des troubles sévères face auxquels le prof est dépourvu de moyens suffisants pour intervenir avec succès. Au secondaire, les professeurs doivent relever le défi de présenter les notions académiques de manière divertissante à des adolescents en recherche d’eux-mêmes, parfois blasés, nonchalants, désorganisés, inattentifs, insolents. De plus, certains enseignants pourront témoigner, s’ils en ont le courage, des blessures profondes qu’ont laissé en eux les incivilités, rumeurs, propos malveillants et agressions dont ils ont pu faire l’objet de la part d’élèves, à l’école tout comme sur les réseaux sociaux.

Au chapitre de la violence, les enseignants constatent qu’ils ne peuvent pas toujours compter sur le support des parents d’élèves. En effet, avec la dévalorisation de la profession, les maîtres n’ont plus l’autorité morale ni intellectuelle au sein de la société. Conséquemment, certains parents participent eux-mêmes à l’intimidation, font de l’ingérence dans la gestion de classe, confrontent, blâment, accusent les professeurs, les menaçant même parfois de poursuites judiciaires. Quesnel (2013) et Boudreau (2013) soulignent d’ailleurs le manque d’appui des parents qui discréditent le travail de l’enseignant, invalidant son intervention auprès de l’enfant. Des parents adoptent une attitude suspicieuse vis-à-vis de l’école, doutent de la compétence des professeurs, contestent les décisions, débattent des méthodes et des programmes, ce qui ajoute à la pression, déjà forte, du métier.

Pour plusieurs professionnels, les réunions parents-enseignants constituent une épreuve majeure tant des parents projettent sur l’enseignant leurs attentes et leurs craintes, en déléguant leur responsabilité quasi-entière face à l’éducation des enfants. Le système scolaire procède de la société actuelle; ainsi, les parents sont devenus des consommateurs de services au sein de l’école. Avec l’impunité du client qui a toujours raison, certains parents n’hésitent pas à dicter la conduite de l’enseignant, multiplier les demandes spéciales en tous genres, réclamer, faire du chantage et des plaintes à la direction (pour une note, un devoir, une punition). Heureusement que nous savons, vous et moi, être reconnaissants de l’engagement des enseignants et que nous ne manquons pas une occasion de valoriser les liens constructifs qu’ils créent avec nos enfants!

Monsieur Germain Duclos, célèbre psychoéducateur et orthopédagogue québécois, se plaisait à préciser que les enseignants ont effectivement deux mois de congé à la fin de l’année scolaire, soit un mois de convalescence suivi du traditionnel mois de vacances. Un été, c’est somme toute bien peu pour se reposer, soigner des maux qui n’ont pu être exprimés, faire le deuil de certains élèves appréciés et de quelques projets qui prennent fin, assumer des erreurs et des défaites aussi, puis refaire le plein d’énergie pour repartir à neuf auprès de nouveaux élèves à entourer avec bienveillance afin de bien les guider. Cette année, avec nos souhaits de bonnes vacances, offrons aux enseignants notre soutien collectif et notre pleine confiance. Après tout, leur travail, de par son essence, ne consiste-t-il pas à assurer aux enfants une éducation de qualité comme fondement d’une société responsable et prospère?

Recommandations de lecture :

  • Boudreau, Diane. Une éducation bien secondaire. Montréal : Éd. Poètes de Brousse, Coll. Essai libre, 2013.
  • Quesnel, Anne-Marie. Parents essoufflés, enseignants épuisés: les répercussions sociales d’une éducation trop permissive. Québec: Ed. CARD, Coll. Parent un jour, parent toujours, 2013.
  • Témoignages de professeurs: le quotidien des enseignants au secondaire [préface de Paul Gérin-Lajoie]. Montréal : Ed. Caractère, 2011.

©2014 tous droits réservés Nicole Blanchard


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3 réponses à S.O.S. des enseignants : Bulletin spécial

  1. Frédéric dit :

    Très bon texte! Véridique!

  2. Carole dit :

    Très bon article, merci. Hélas, les lecteurs sont en majorité des enseignants et pas nécessairement les parents qui passent sur notre dos leurs frustrations ou leur manque. Il y a cependant encore beaucoup de parents et d’élèves qui démontrent respect et intérêt et c’est une reconnaissance naturelle.
    Nos 7 semaines de vacances soit dit en passant ne sont pas toutes payées. C’est aussi un fait que les payeurs de taxes qui dénigrent notre profession ignorent. Ce n’est jamais écrit en gros à la une du journal. Notre traitement est étalé sur 12 mois depuis quelques années afin de nous faciliter la gestion de nos finances personnelles. Le mois d’août était très long. Certains nouveaux enseignants croient en effet que nos traitements en continu font de nous des gens payés tout l’été.
    Je termine en mentionnant qu’on oublie trop souvent que les profs sont aussi parents et qu’ils sont des contribuables à part entière. Ils participent au développement économique, social et culturel de la population comme la plupart d’entre nous. Mettre la main à la pâte tout le monde ensemble n’est pas pour demain mais j’aime croire que l’avenir sera meilleur demain…

  3. Véronique dit :

    Bon texte, très complet!

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